Rien ne va plus, les « je » sont défaits

3, 2, 1…feu !  Comment la passion des cœurs s’écrit dans un rythme haletant, où l’on suit la chute inévitable de personnages pris en étau dans des situations extrêmes.

La première consigne d’écriture invitait à construire un récit rendant compte d’une forte tension amoureuse entre un homme et une femme liés tous deux par la même passion du jeu. Un coup de feu devait survenir dans l’histoire. Plusieurs images tirées du film « La Baie des anges » (J. Demy) ont été données aux participant.e.s nourrissant ainsi leur imaginaire et les séquences possibles de chaque histoire. Celle-ci devait répondre à plusieurs contraintes, comme le lieu (un Casino à Nice), les personnages (Jackie, une bourgeoise déchue et mère indigne ; Jean, jeune employé de banque qui a tout quitté pour fuir une vie besogneuse et conformiste), des phrases (« Rien ne va plus », « Faites vos jeux », « Les jeux sont faits »).

Voici donc ci-après 2 récits reprenant ces consignes données, suivis de monologues intérieurs qui devaient eux, c’était la 2ème proposition d’écriture, répondre à l’idée d’un décompte, de quelque chose d’inévitable qui devait se passer de manière imminente. L’un des auteurs de ces monologues l’a judicieusement fait correspondre à une voix possible du personnage de Jean intervenant dans la 1ère proposition d’écriture.

      Assise dans son tailleur blanc, le dos bien droit, les jambes croisées , son sac sur les genoux, Jackie avait sursauté quand elle avait vu la porte s’ouvrir. Elle avait d’abord entendu la portière claquer et avait secrètement espéré que ce soit lui. Pourtant elle ne lui avait pas dit qu’elle serait là ce soir. Encore. Il avait dû le sentir. La sentir encore prête avec sa féroce et irrépressible envie de jouer avec le feu.

     Il n’avait rien dit quand il l’avait vu se préparer. Rien dit quand elle avait tenté de réajuster son brushing devant la glace. Rien dit quand elle avait refermé la porte sans un mot. Elle avait juste perçu le regard qu’il avait posé sur elle depuis le balcon quand elle avait traversé la rue.

     Et maintenant, elle était là et lui venait de rentrer. Le regard détaché de celui qui ne venait pas pour rien. Ni  pour la première fois. D’ailleurs tout le personnel le saluait, séduit peut-être par la manière élégante de porter le costume, mains dans les poches, veste déboutonnée. Oui intimidé par la connaissance de son ancien métier. Attendu comme un habitué en tout cas, c’était une évidence.

     Jackie aurait mis sa main au feu qu’il allait venir s’asseoir et la prendre dans ses bras. La serrer fort et lui chuchoter, lui murmurer tendrement à l’oreille, le nez enfoui dans ses cheveux et son cou, les numéros qu’il fallait jouer ce soir.

     Le « faites vos jeux » résonnait déjà autour du tapis, il n’était toujours pas arrivé jusqu’à elle. Jackie, nerveuse et désabusée à la fois, commença à poser ses jetons sur le tapis dans une sorte de hasard qui n’en avait que l’apparence.

     –  Non. Je t’avais dit non. Pas ça. Non, pas comme ça, pas là. Combien de fois faudra-t-il le répéter ? Tu ne comprends donc pas.

     Les jeux étaient faits. Jackie avait senti le feu lui venir aux joues. Elle sentait qu’elle allait encore réveiller sa colère. Elle se retourna, prit la main qui s’était posée fermement sur son épaule et invita Jean à s’asseoir enfin.

     « Les jeux sont faits ».
     Il allait ouvrir la bouche. Elle lui mit un doigt sur les lèvres en tentant de sourire.

     –  Fais moi confiance. Accepte un peu de moi. Accepte de jouer le jeu. De jouer la carte de la patience

     « Rien ne va plus »

     Le cliquetis de la bille virevoltant dans la roulette à vive allure, avait suspendu lèvres et regards. Jackie avait posé sa tête et s’était serrée contre les épaules de Jean.

     –  On va perdre, on va se perdre, avait-il dit

     –  Que gagnerons-nous à nous perdre ?

     Jackie était joueuse. Elle tentait toujours aussi de jouer sur les mots. Sachant très bien ce que ça déclenchait de flammes et de feux en tous genres chez Jean.

     Le croupier ouvrit la bouche pour annoncer le résultat des courses de la bille et des mises. Il n’eut pas le temps de laisser sortir le moindre chiffre dans son souffle.

     Un coup de feu retentit dans la salle. Jackie s’effondra. Jean à côté d’elle avait toujours une main dans sa poche. Au loin, mais pas si loin, on entendit un murmure… « Il n’y a pas de fumée sans feu »        HÉLÈNE D.

 

 

 

     « Faites vos jeux ». Jackie et Jean l’avaient bien saisi. Ce serait ce soir.

     Assis tous les deux depuis plusieurs heures déjà à la table de la roulette, ils étaient bien engagés maintenant dans la torpeur et l’incandescence de ces dernières heures de la nuit. À Nice, le casino ferme tard.

     Jean avait quitté Paris depuis presque deux mois et n’avait pas vu le temps filer. Jackie, elle, avait un tempérament de feu. Dès le premier instant de leur rencontre et toujours au bord de l’abîme, c’est elle qui l’avait constamment poussé en avant avec cette impression bizarre que, lui, avait toujours les yeux bandés. Entre l’alcool et leurs innombrables défis  ou autres franchissements de lignes rouges, leurs sorties nocturnes n’avait pas manqué de piquant.

     Leurs fins de nuit non plus.

     C’était la première soirée qu’ils avaient décidé de prolonger au casino. Jean avait pensé que ce serait le bon endroit. Jackie avait déjà envie de passer à autre chose. Entre eux, les jeux étaient faits. 

     –  Je m’ennuie, finit-elle par lâcher.

     –  Et moi, je n’ai plus envie de jouer, lui répondit-il. Pair, impair, rouge, noir, un numéro au hasard, tu ne trouves pas qu’au final, c’est un peu restreint comme choix ?

     –  Au début, ça m’amuse toujours un peu et puis ça finit par me lasser.

     –  Moi, tu sais Jackie, ça finirait presque par me faire peur.     

     –  Te faire peur ?

     –  En quittant Paris, j’ai voulu fuir une routine et j’ai l’impression qu’avec toi, au fil de nos nuits, je me retrouve à nouveau coincé face à une autre.

     –  Tu trouves que ma compagnie est trop monotone peut-être ?

     –  À force de vivre ta vie tout feu tout flamme, tu n’as pas peur de te brûler ?

     –  Ça n’est jamais arrivé.

     –  Mais ça pourrait.

     –  Dis-moi Jean, qu’est-ce que tu as voulu fuir exactement ?

     –  Je ne sais pas trop.

     –  Peut-être est-ce tout simplement de te voir toi face au miroir mais, ça, tu ne pourras jamais y échapper.

     –  Sauf si je casse le miroir.

     –  Tu aurais trop peur de te blesser.

     « Rien ne va plus » cria alors le croupier.

     « Non, rien ne va… »

     Jackie n’eut pas le temps d’en dire plus. Jean avait sorti l’arme de sa poche et tiré à bout portant sur celle qui, l’espace de quelques soirées, l’avait renvoyé à ses angoisses et à ses peurs.        JEAN-LUC

 

 

 

Je n’en peux plus.

Tout cela doit s’arrêter.

Pourtant, au début, je n’y voyais que du feu. C’était même assez plaisant.

J’étais parti pour fuir mais depuis que nous nous sommes rencontrés, j’ai le sentiment de continuer à fuir dans ma fuite. Une fuite qui ne s’arrête jamais, ce n’est pas une vie. Des fuites qui se succèdent, des fuites qui s’emboîtent les unes dans les autres, c’est un truc de dingue.

Pourtant, au début, c’était assez plaisant. C’était plaisant de ne pas regarder l’heure, de ne jamais savoir à l’avance ce qu’on allait faire dans la minute suivante. Et puis, tous ces interdits que nous avons bravés ensemble, c’était si excitant et déroutant à la fois. Enfin, ces interdits qu’elle m’a amené à braver, ces instants d’insouciance qu’elle a imaginés pour moi, ces imprévus qu’elle avait préparés, ces indécisions qu’elle avait décidées, ces projets fous et si surprenants qu’elle avait projetés.

Et dire que j’avais fui afin que, plus jamais, personne ne décide de ma vie à ma place !

Je n’en peux plus.

Je crois qu’après avoir tiré sur elle, je retournerai l’arme vers moi.

Si j’en ai le courage, si j’en ai la force.

Si je suis capable de le décider.       JEAN-LUC

 

 

Dix

Dix minutes que je suis là. Là, à attendre. Tout est très tranquille tout autour. Je me laisse bercer par la danse des feuillages au loin. Un rayon de soleil s’immisce, traverse les branches, puis la fenêtre. Je rêve.

Neuf

Neuf, je veux juste me réveiller dans du neuf. Une vie nouvelle de neuves envies. Que quelque chose de neuf advienne. Du nouveau, du beau, du doux, du sensible, du tactile. La sensation de la pulpe des doigts qui caresse un tissu neuf. Dans le huis clos de mes désirs de neuf.

Huit

Huit jours, il me reste huit jours. Une semaine plus un jour pour flamber, dissoudre, pour tenir et obtenir, pour saisir, pour étreindre, pour sentir, pour recueillir, accueillir cette envie.

Sept

Sept nains. Sept merveilles du monde. Sept petits riens. Je prendrai chacun des sept jours qu’il me reste pour m’offrir une de ces merveilles. L’imaginer, la rêver, la regarder. La prendre, la rendre instantanée. Clichés à collectionner. Une photo pour chacune. À garder au cœur de ma tête si pleine, si dense. 

Six

Six… si c’est possible. Je le sais, je le veux. Je le peux, je le ferai. Ce sera ma situation, mon système. Mon silence. Silence pour raviver cinq sens.
Cinq

Cinq simplement. Comme les cinq doigts d’une main. De ma main tendue vers son visage, son cou, sa peau, son corps. Ma main tendue toute entière vers lui quand je le verrai. Et que nous partirons quatre à quatre.
Quatre

Aux quatre vents de la rose des quatre coins du monde, avec les quatre atouts en main pour un autre voyage. Et, nous partirons quatre à quatre, course folle vers l’avenir que j’attends là depuis 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, …

Trois

Trois. Trois nuits par semaine c’est sa peau contre ma peau…. La chanson qui me rattrape. Et l’envie de danser, enlacer nos corps sur une grille d’accords. Alors on danse. Pas de deux. Ensemble. Deux à deux…
Deux.
Deux yeux, deux mains pour se regarder du bout des lèvres et ne faire plus qu’un.

Un

Un… Zéro…. C’est parti… Je lui écris que je veux le revoir et vite. Au bout du compte, le temps passe trop. Trop vite… 

                                                                                                                                                                                      HÉLÈNE D.

 

Fly écriture 26 avril